Une Interview de Martin Engelman par la BBC le 16 novembre 1981 à Berlin

 

En 1969 un artiste hollandais qui habitait alors à Paris a été invité à continuer son travail à Berlin-Quest dans le cadre d’un programme culturel de la ville. Il s’agissait du peintre Martin Engelman, dont le style abstrait vigoureux et frais éveillait l’attention de manière considérable, particullièrement après son importante exposition dans la ville.

Par conséquent, le peintre hollandais talentueux fut convié à rester à Berlin de manière permanente, en tant que professeur à l’académie des Beaux Arts de Berlin. Il a accepté et depuis lors son travail a été exposé dans de nombreux pays européens dont l’Angleterre, la France, la Belgique, la Hollande ainsi que la Scandinavie et les Etats-Unis.

Clive Freeman a rencontré Martin Engelman à son arrivée à Berlin il y a plus de dix ans et a récemment rendu visite à l’artiste dans son atelier à Berlin-Schöneberg. Il lui a demandé comment sa vie d’artiste a débuté.

Martin Engelman:

“J’ai reҫu ma formation dans des ateliers d’art graphique en Hollande pendant la guerre et à un moment alors que la guerre se poursuivait, on avait demandé à une certaine quantité de jeunes hollandais de pendre un navire hollandais pour aller en Angleterre et contribuer à mettre fin à cette atroce deuxième guerre mondiale. J’ai servi deux ans dans la marine hollandaise et quand la guerre a été terminée je suis retourné à mes premières activités de designer à La Haye et bien sûr, comme tout aventurier, j’ai dû continuer et aspirait à aller en France. J’ai rencontré un designer et peintre professionell franҫais tout à fait remarquable, dont le nom est Cassandre. C’était en 1947 et en ‘48 je me suis trouvé à Paris travaillant ensemble dans son atelier sur des projets concernant le décor de theâtre pour Mozart et Shakespeare: Othello, Don Giovanni. C’est ce que m’a amené en France.

Clive Freeman:

En effet, Paris était dans une situation plutôt désespérée dans un certain sens, il y avait certainement peu d’argent.

ME:

Il n’y avait pas beaucoup d’argent mais vous dites que la situation était désespérée, elle ne l’était pas car la seconde guerre mondiale était finie et tout devrait être reconstruit avec des possibilités financières très limitées, mais l’esprit etait prodigieux. Il y avait ce sentiment de liberté et il y avait les alliés, la France, la Hollande, la Belgique, tous étaient alliés, c’était fini, et il y avait un sorte de “Ils ont gagné la guerre” mais bien-sûr entre guillements, une guerre n’est jamais gagnée. On recommenҫait à nouveau à construire. C’était un stade de reconstruction. Bien-sûr, sur la scène politique il y avait différents gouvernements, on ne savait pas quelle direction la France allait prendre. Mais il y avait une liberté incroyable, intellectuelle et commerciale, pour aller vers quelque chose de nouveau et j’ai profité de cela dans cette période de l’après-guerre.

CF:

Comment votre peinture s’est-elle développée. Vous vous exprimez très fortement en tant qu’individu, comment pourriez-vous définir vos derniers travaux ?

ME:

J’ai travaillé dans le passé plus rigoureusement, à une certaine période j’utilisais des formes et des figures beaucoup plus définies et précises, l’esprit de mon travail à mes débuts est toujours là mais….c’est…., c’est plus ouvert, je ne m’enferme plus autant qu’avant. Quand je commence une toile j’ai une idée à peu près précise où je vais sur ma toile et je commence à travailler avec une peinture très liquide, sur le sol, à plat. Dès que cette première couche est sèche je commence à réaliser comment l’ɶuvre peut se développer et deviendra plus puissante, ou alors elle restera telle quelle et je serais obligé d’ajouter plus de matière et pour cela tout médium est accepté, mais si je pense que je n’arriverai à rien, je lave tout et je recommence.

CF:

Mais la couleur est très importante pour vous.

ME:

La couleur est ce qu’il y a de plus important. Quand je commence à travailler, j’ai une idée assez approximative de ce que je devrais mettre sur la toile, puis c’est une affaire de dessiner juste une ou deux lignes, puis tout vient de mon système et la brosse et le materiel.

CF:

Pourriez-vous dire que vous avez été pas mal influencé par la France?

ME:

Je ne pourrais pas le nier, mais j’ai aussi cette franche audace pour les contrastes qui vient de mon pays. Notre pays a eu une longue tradition de peintres et le ciel hollandais est très étendu et la mer est longue et le pays est plat et il y a ces énormes contrastes que vous pouvez trouver dans tous les styles de peinture provenant de Hollande. Je ne vais pas vous citer des noms, mais, comme Mondrian et Van Gogh et c’est ce genre d’éléments que je sens toujours aujourd’hui en ‘81 dans ma peinture. Ce sera toujours là, c’est en moi. Maintenant je pourrais… (du fait, que je vais très souvent dans le sud de la France où j’ai également un atelier) mais de toutes faҫons que j’aille en France, en Hollande ou en Allemagne, je garderai toujours ces contrastes et ces couleurs dans mon travail, en moi.

CF:

Pourriez-vous dire quel artiste particulier a influence votre peinture?

ME:

Van Gogh, Modigliani, Cezanne, Mondrian également, puis Picasso bien-sûr, ont été très important dans ma vie. J’ai été interessé par les peintures de Bacon, j’ai été très impressionné par le peintre allemand rejeté pendant la période nazi, Beckmann. Puis j’ai été influencé par ce que j’ai vu alors en Hollande et en Amérique. Je veux parler des CoBrA, Action painting des Etats-Unis: Kline, de Kooning, Rothko, Guston. Je veux citer les impressionnistes franҫais et, non je veux dire les post-impressionnistes franҫais  de l’Ecole de Paris avec toutes leurs faiblesses, Manessier, Tal-Coat, Bazaine et ainsi de suite.

CF:

Vous faites aussi des lithographies et de la gravure sur bois, c’est un aspect très important de votre travail.

ME:

Oui, et cela est un aspect important de mon travail - car à l’époque où je vivais à Paris, j’ai commencé à faire de la lithographie, c’était au début des années ‘60, j’en ai fait beaucoup et je me suis connecté avec les imprimeurs qui m’ont toujours demandé de revenir faire une lithographie et c’est également un état personnel de convictions très profondes que j’ai depuis toujours, cela me donne énormément de plaisir de travailler sur la pierre et de tailler dans le bois. Puis la presse est prête, puis la possibilité de travailler à n’importe quel moment même la nuit sans un horaire determiné  – maintement il est quatre heures on ferme! nous avons terminé pour aujourd’hui; et ce contact est resté en moi, entre Paris et moi-même ici à Berlin.

CF:

Vous êtes ici depuis plus de dix ans je crois.

ME:

Oui.

CF:

Ҫa a été de toute évidence une base magnifique pour vous. Vous sortez beaucoup de Berlin, vous faites beaucoup d’expositions en Suède, en Allemagne de l’ouest, à Paris et en Hollande.

ME:

Même si cela semble si lointain, c’est la dernière étape vers l’Est et c’est un endroit où j’ai trouvé la possibilité de donner une ligne réaliste à ma situation dans la vie et la possibilité de travailler dans un certain calme, vous savez, bien-sûr Berlin est un endroit sophistiqué mais c’est un terminus d’une certaine manière alors que, pendant ce temps, sans cesse les gens passent à Paris, Amsterdam, Londres, New-York , très peu viennent jusqu’ici mais peut-être cette restriction d’appartenir à cette  dernière et lointaine étape dissipe toute distraction et m’oblige à me concentrer sur mon travail en toute tranquilité.